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20 juillet 2010 2 20 /07 /juillet /2010 11:09

 

Provence

par Jean-Marie Guillon et Robert Mencherini

Extrait du Dictionnaire historique de la Résistance

(chapitre Territoires et régions, p.309)

Sous la direction de François Marcot

Coll. Bouquins, Robert Laffont, 2006

 

La région d’aujourd’hui, avec ses six départements méditerranéens et alpins, correspond aussi à la R2 des Mouvements unis de la Résistance (MUR), héritée de Combat, qu’à l’inter-région communiste E/F, même si, un moment, le Gard et la Drôme ont pu s’y trouver rattachés et les Hautes-Alpes en être séparées. Cette région a revêtu pour la Résistance en zone sud une importance particulière. Dans un premier temps, celui de l’ «invention» de la Résistance dans son organisation, ses méthodes, ses actions, Marseille et le littoral jusqu’à Nice jouent un rôle pionnier qui tient à leur caractère de refuge et d’étape. Parmi tous ceux qui échouent sur les bords de la Méditerranée, chassés par l’occupant, certains veulent continuer le combat et espèrent le mener à l’extérieur. En mettant en place filières d’exil et réseaux d’entraide, les organisations d’assistance installées à Marseille occupent une place majeure dans la constitution d’un milieu résistant précoce où se côtoient militaires et agents des services secrets, prisonniers évadés, antinazis français et étrangers, Alsaciens, Juifs, démocrates-chrétiens, francs-maçons, nationalistes non séduits par Vichy.

Presque tous les acteurs de premier plan, Henri Frenay, Claude Bourdet, Pierre de Bénouvile, Emmanuel d’Astier, pour ne citer que les plus connus, passent par la région. Beaucoup s’y sont repliés. Jean Moulin trouve là les éléments du rapport qu’il fera à Londres. Le mouvement de Libération nationale de Frenay fait ici ses premiers pas, le journal Liberté y est imprimé, plusieurs réseaux importants, français set étrangers, y naissent ou s’y installent (F2, Mithridate, Alliance, Pat O’Leary, diverses antennes du Special Operations Executive – SOE). Tous sont imbriqués et la répression, par exemple à l’automne 1941, en touchant l’un atteint les autres. Quand vient le temps de la spécialisation, Combat, pour qui la R2 est la région modèle, acquiert une position dominante grâce à son implantation au sein de la gauche laïque et socialiste. Avec Libération et Franc-Tireur, installées dans les mêmes milieux, la fusion dans les MUR ne pose pas de problème. En revanche, le réseau Carte devient en 1942 une sorte de concurrent grâce à sa position privilégiée de relai du SOE et du principal bénéficiaire des liaisons maritimes organisées dans l’Estérel et les calanques de Cassis.

L’un des phénomènes marquants de 1942 est l’expression ouverte du mécontentement de l’opposition. Plusieurs dizaines de manifestations de ménagères au cours de l’hiver, puis celles, toutes patriotiques, qui se produisent dans les principales villes les 14 juillet et 11 novembre, révèlent le rejet populaire et la conjonction de la résistance et de la tradition politique d’une région dont sept parlementaires avaient voté « non » le 10 juillet 1940.

A partir de novembre 1942, la Provence est occupée. L’occupation est surtout italienne jusqu’en septembre 1943, mais Marseille est sois contrôle allemand. La Gestapo et l’Organisation de vigilance et de répression de l’antifascisme (OVRA) décapitent les MUR, à peine constitués, entre mars et mai 1943 (affaire Flora). La région est devenue un enjeu stratégique. Le coup de main sur la flotte de Toulon et la destruction du Vieux-Port de Marseille ont été les spectaculaires introductions à cette situation nouvelle que les bombardements soulignent bientôt en visant particulièrement Toulon. En témoigne aussi la prolifération  des réseaux de renseignement. Les Anglais (Intelligence Service et SOE) sont rejoints par l’Office of Strategic Services américain ; les réseaux giraudistes bénéficient de l’implantation des services spéciaux de Vichy ; les Soviétiques son présents et le Bureau central de renseignement et d’action étoffe considérablement ses réseaux avec Gallia, Ajax et Phratrie notamment. Réseaux anglo-saxons et giraudistes bénéficient des liaisons clandestines qui relient depuis février 1943 l’Algérie et la presqu’île de Saint-Tropez, puis celle-ci et la Corse.

A partir de février-mars 1943, Armée secrète et Francs-tireurs et partisans implantent leurs premiers maquis. Ceux du Ventoux (AS) forment l’un des ensembles maquisards les plus stables et les plus puissants. Celui des Maures (FTP) donne naissance à la 1re compagnie de Provence, sorte d’unité mère pout les FTP de toute la région. Contrainte de quitter le Var, elle rejoint les Basses-Alpes, devenues en 1944 le principal lieu de concentration maquisarde en R2. A ce moment, la Résistance est devenue un ensemble très complexe. Solidement implantés, avec un encadrement dominé par les socialistes, les francs-maçons et les démocrates-chrétiens, les MUR, dirigés depuis l’automne 1943 par l’avocat aixois Max Juvénal, Maxence, jouent plutôt la carte de la prudence dans l’action et préparent la Libération. Contrôlant les principales branches de la contre-société résistante, ils sont cependant fragilisés par ses mutations. Autour de Gaston Defferre, les socialistes résistants ont des velléités d’autonome et, avec l’aide du SOE, amorcent la création de groupes armés. Les communistes, quat à eux, exercent désormais une attraction forte en milieu ouvrier. Ayant pu surmonter les arrestations des premiers temps, ils apparaissent à partir de l’automne 1943 comme l’élément le plus dynamique  de la clandestinité, contrôlant à la fois l’action des groupes urbains, celle des maquis FTP et FTP-MOI et les luttes revendicatives conduites par la CGT clandestine, dont l’action culmine avec les grèves régionales du printemps 1944. Les communistes revendiquent un rééquilibrage de pouvoir clandestin au sein des Comités départementaux e libération (CDL) et, contestant les orientations majoritaires, poussent à l’insurrection nationale. Les MUR sont également confrontés au grignotage d’un ensemble militaire constitué de la Section des atterrissages et des parachutages, des réseaux liés à Alger et de l’Organisation de Résistance de l’Armée (ORA), qui a pris le contrôle d’une partie de l’AS et qui, comme les FTP, garde son autonomie au sein des forces françaises de l’intérieur (FFI). Méfiant à l’égard des «politiques», recevant l’essentiel des armes, cette mouvance est appuyée par les missions envoyées pour préparer le Débarquement.

Les évènements qui suivent le 6 juin 1944 révèlent à la fois la force de la Résistance en Provence, mais aussi l’étendue de ses divisions. Sûrs de l’imminence du débarquement en Méditerranée, des centaines d’hommes, peu ou pas armés, rejoignent les emplacements prévus autour des villes ou des zones de regroupement des Alpes du Sud. Certaines localités sont « libérées » (Manosque, Forcalquier, Valréas, etc.), mais ni le débarquement, ni les parachutages escomptés n’ont lieu. Les occupants et leurs auxiliaires français contre-attaquent à partir du 10 juin ? La résistance perd près de 500 des siens dont plus d’une centaine pour la seule région d’Aix. Elle sort de cette mobilisation partiellement désorganisée et démoralisée. Les FFI éclatent entre leur chef régional, le capitaine Rossi, Levallois, qui privilégie l’action en ville, le capitaine Lecuyer, Sapin, chef régional ORA, qui fait dissidence et poursuit la guérilla dans les Alpes, et les FTP qui multiplient les coups de main et le payent parfois très cher. Atomisée entre de multiples centres de pouvoir (CDL divisés, chefs FFI ou de réseaux, envoyés d’Alger, directions communistes qui accentuent leurs pressions), la Résistance est affaiblie par la trahison. La gestapo de Marseille arrête et fait fusiller 38 responsables ORA et Mouvement de Libération national FFI, dont les chefs régionaux NAP —noyautage des Administrations publiques— et FFI, le délégué militaire régional par intérim et le Comité départemental de libération des Basses-Alpes. Pourtant la participation de la Résistance aux combats qui suivent le débarquement du 15 août n’est pas négligeable. La région est l’une de celles qui ont connu des insurrections urbaines avant l’arrivée des troupes libératrices, à Marseille, Toulon ou Nice, mais aussi dans nombre de localités plus petites comme Draguignan ou Arles. La rapidité de la Libération, acquise le 21 en Provence intérieure, tient aussi à la présence de la Résistance.

 

Jean-Marie Guillon

et Robert Mencherini

 

Bibl. : Funk Arthur Layton : Les Alliés et la Résistance, un combat côte à côte pour libérer le sud-est de la France, Edisud 2001, 229 p. Traduction de Hidden Ally, The french Resistance, Special Operations and the Landings in Southern France, 1944, New-York, Greenwood Press, 1992. Guillon Jean-Marie : Evolution des rapports de force dans la Résistance provençale à la veille de la Libération, actes du colloque La Libération de la France, 12-13 octobre 1984, Cahier de l’Institut de recherches marxistes, n° 34, 1988. Guillon Jean-Marie (dir.), La Provence de la Résistance à la Libération, Provence historique, n°XLIV, fasc. 178, Fédération Historique de Provence, Marseille, octobre, novembre décembre 1994, 140 p. 

 

 

Marseille

par Robert Mencherini

Extrait du Dictionnaire historique de la Résistance
Chapitre Territoires et régions, p.294)

Sous la direction de François Marcot

Coll. Bouquins, Robert Laffont, 2006

 

L

 

ES caractéristiques de la Résistance à Marseille renvoient à celle d’une cité portuaire, devenue zone de refuge, de repli et de transit, entrouverte sur le monde jusqu’en 1942. Elles se combinent aux traditions d’une ville ouvrière où socialistes et communistes sont bien implantés. Les nombreux réfugiés et les militaires repliés à Marseille constituent le terreau de la première résistance. Dès l’été 1940, les filières d’évasion pour les militaires étrangers, polonais et tchèques démobilisées ou britanniques retenus, voisinent avec celles d’aide aux persécutés : Comité américain de secours de Varian Fry (ERC), associations d’assistance juive, l’American Jewish Joint Distribution Committee—Joint—, l’œuvre de secours aux enfants (OSE), ou le réseau André.

A l’automne 1940 circulent des feuilles artisanales, celles de la Légion française en France, la Lettre du général Cochet ou les Bulletins jaunes du journaliste Jean Bardanne. La Voix du Vatican, née à Avignon puis imprimée à Marseille est localement la première expression d’une protestation chrétienne. Les Cahiers du Témoignage chrétien trouvent là, en novembre 1941, un circuit tout constitué. Henri Frenay commence à Marseille, quelques semaines après l’armistice, à diffuser son Manifeste et à recruter militaires de l’armée d’armistice ou démobilisés en transit comme Maurice Chevance, Bertin. Il lui confie, en décembre 1940, la responsabilité de la région. Son mouvement de libération nationale diffuse Petites Ailes puis Vérités et s’étoffe rapidement, avec, parmi d’autres, Jacques Baumel, Henri Aubry, Avricourt, et Jean Gemahling, déjà actif au ERC. Marseille est une base importante du mouvement Liberté. Guy de Combaud Roquebrune y imprime le journal à plusieurs milliers d’exemplaires. D’autres entreprises, plus modestes, participent au même refus de la défaite : ainsi Azur-Transport de Pierre Henneguier où travaille le jeune acteur Robert Lynen. Et c’est à Marseille en 1941 que Jean Moulin prend contact avec les mouvements dont les pionniers ont tous fréquenté la cité phocéenne.

La ville portuaire est aussi un lieu privilégié pour des réseaux comme Interallié —qui succède à la filière d’évasion polonaise—, Alliance, de Marie-Madeleine Forcade, Brutus ou l’organisation d’André Girard, Carte, qui se ramifie dans les Bouches-du-Rhône. Certains services liés à Vichy, issus du 2ème Bureau, Camouflage du Matériel ou Service TR du colonel Paillole, Perrier, reprennent des activités dans l’ombre, autour d’un Bureau des menées antinationales (BMA) qui fait arrêter des agents allemands mais réprime aussi les activités «antinationale» au sens vichyste. Mouvements et réseaux rencontrent inévitablement les militants des partis politiques de gauche, reconstitués dans la clandestinité. Ainsi le parti socialiste autour de Félix Goin, Daniel Mayer et Gaston Defferre (aussi membre avec André Boyer du réseau Froment-Brutus). Le parti communiste se réorganise en dépit d’une répression qui fait tomber plusieurs de ses directions. Ses thèmes de propagande se modifient en 1941 et il est à l’initiative en mai, de la création du Front national. La résistance s’exprime par des tracts et des journaux, mais aussi par des manifestations de ménagères, importantes dans cette région de grandes pénuries, et par plusieurs rassemblements qu’elle encadre : en mars 1941, à proposes de la Yougoslavie ; le 1er mai 1942, pendant lequel la foule circule ostensiblement dans le centre-ville, et surtout le 14 juillet 1942. La police vichyste ne reste pas inactive et opère de nombreuses arrestations.

L’occupation de la zone, le 11 novembre 1942, modifie la place stratégique de la cité et les conditions d’action des résistants. Des militaires de l’armée d’armistice dissoute créent l’Organisation de Résistance de l’Armée (ORA), sous la direction du capitaine Lécuyer, Sapin. A partir de 1943, les Francs-Tireurs et partisans français, et plus particulièrement des Francs-tireurs et partisans de la Main-d’œuvre immigrée, développent les actions armées. Les Groupes francs des Mouvements unis de Résistance (MUR), ainsi que les agents du Special Operations Executive britannique organisent aussi sabotages et attentats. La répression accrue entraîne la chute de plusieurs réseaux, de Témoignage chrétien et de l’Alliance. L’affaire Flora, menée par la Gestapo, porte un rude coup aux MUR et mène jusqu’à Lyon et Jean Moulin.

En mars 1944, les syndicats clandestins, animés par les communistes, organisent des grèves salariales dans la métallurgie. EN mai, « la grève du pain » touche de nombreuses entreprises et s’étend dans le département jusqu’au bombardement américain de la ville. Le 6 juin 1944 suscite une montée aux maquis dans les Alpes et au nord du département, maquis immédiatement et durement réprimés. Les communistes, dans la perspective de l’insurrection, appellent à ne pas abandonner la ville. E après le débarquement de Provence, le Comité départemental de libération des Bouches-du-Rhône, constitué depuis plusieurs mois sous la présidence de Max Juvenal, Maxence, (MUR-Mouvement de Libération nationale), lance, le 18 août, la grève générale insurrectionnelle. Il s’installe le 21 août dans la préfecture de Marseille ; que l’intervention des troupes de débarquement libère définitivement.

Pendant toute cette période, Marseille apparaît pour la Résistance comme un centre important d’initiatives et de commandement qui rayonne sur tout le Sud-Est. C’est aussi un grand port méditerranéen d’où l’on peut rejoindre légalement ou clandestinement, souvent au départ des calanques, l’Afrique du Nord, l’Empire, mais aussi Gibraltar ou l’Atlantique. Il reçoit, en retour, les envoyés de Londres ou d’Alger. Dans ce melting-pot internationale, les résistants étrangers, ressortissants du Reich, antifascistes italiens et espagnols ainsi que la diaspora des persécutés jouent un rôle décisif. Enfin, la Résistance marseillaise est de plus e plus fortement colorée, au fil du temps et des mobilisations, par les caractéristiques populaires, politiquement socialistes et communistes, de la cité ouvrière.

                                                                                                   Robert Mencherini

 

Bibl. : Guiral Pierre, La Libération de Marseille, Pris Hachette, 1974. Mencherini Robert, Les voies de la Résistance, de la ville refuge à la cité populaire en grève. Eté 1940-printemps 1944 à Marseille, Marseille, n° 172, 1995, p. 4-11. Robert Mencherini, Naissance de la Résistance à Marseille, Provence historique n° 178, 1994, p. 441-452.

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  • : Colonel Pétré, la Résistance à Marseille
  • : Biographie du Lieutenant-Colonel Jean-Baptiste Pétré, chef régional de l'Armée Secrète AS à Marseille. Archives de l'AS, de la déportation, de l'épuration. Campagne de France et Résistance durant la 2ème guerre mondiale.
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