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22 janvier 2011 6 22 /01 /janvier /2011 20:41

Cinquième partie : L’hommage de Marseille

 

I.- Cérémonies religieuses du 19 avril 1959 et du 26 mai 1959

 

Dès la semaine suivante, le 19 avril, l’amicale a fait célébrer une messe à la mémoire et à l’intention de son président. La messe, célébrée par l’abbé Galy, ancien lieutenant et ami du capitaine, a groupé un grand nombre d’anciens, dont certains étaient venus de bien loin, et n’avaient plus paru depuis de longues années ; mais ils avaient tenu à s’associer à ce dernier hommage. D’autres, nombreux également, s’étaient excusés, en particulier le général Granier : «Je ne pourrai hélas, être là, mais je serai avec vous par le cœur et par l’esprit. J’avais pour Pétré une très vive affection. Il avait été un remarquable commandant de compagnie. Il avait été l’animateur de notre belle amicale et il était resté pour moi un ami, tant dans la vie courante qu’à la période sombre de l’occupation. Je lui avais voué cette affection pour son activité dans la Résistance, et surtout pour son grand cœur. Dites à tous les camarades du 141e combien je partage leur peine et combien je ressens cette perte comme irréparable pour l’amicale».

De même le général Duchemein, l’ancien chef de notre 3e division légère d’infanterie : «Je regrette de ne pouvoir m’associer au suprême hommage rendu aujourd’hui à celui qui a si bien servi le régiment et notre patrie. Soyez sûr que je suis de cœur avec vous. Bien tristement et fidèlement votre…».

 

Evocation de l’abbé Galy

L’abbé Galy évoqua la figure de son ancien capitaine en ces termes : «Les uns parmi nous dont je suis, ont connu le capitaine Pétré comme commandant de compagnie; d’autres, plus nombreux, l’ont eu comme président de l’amicale du Régiment; pour certains, ce fut le chef de la Résistance. Mais il ne comptait parmi nous que des amis. Il n’est pas question en ce moment, de raconter sa vie ou d’évoquer des souvenirs personnels, mais plutôt de marquer les traits les plus marquants de sa riche personnalité.

C’était d’abord sa gaité qui frappait, le sourire toujours prêt à animer ses lèvres, ses bonnes histoires, et plus encore cette façon joyeuse d’affronter la vie, malgré ses difficultés. Gaîté qui était sans doute un trait de caractère natif, mais qui supposait aussi beaucoup de courage caché.

Ensuite le sens du devoir : ceux qui l’ont secondé de près ont toujours été frappés de le voir, malgré un esprit critique acéré, toujours intégralement fidèle aux missions reçues. Il avait le sentiment très vif de ses obligations d’officier en temps de guerre. Il n’hésitait jamais devant un ordre, même difficile.

Egalement son patriotisme: sa vie antérieure avait pu sembler être un peu celle d’un dilettante. La guerre et la Résistance ont éveillé le patriote, ont révélé l’homme de valeur, ont développé ce qu’il y avait en lui de meilleur. Et c’est l’image d’une grande figure qu’il nous laisse.

Enfin la bonté était l’un de ses traits les plus beaux et les plus attachants : bonté toute spontanée, exempte de tout calcul. Il ne pouvait voir un camarade dans l’ennui sans chercher, de  façon vive et rapide, le moyen de l’aider. S’il aimait l’amicale, ce n’était assurément pas pour la gloriole d’une présidence, mais parce qu’il y trouvait ce moyen d’être utile à beaucoup. Je lui disais parfois amicalement qu’un célibataire comme lui avait trouvé là sa façon de «servir». Il me répondait alors que l’affection dont il se sentait entouré était la meilleure de ses récompenses. Les rares moments où on le trouvait ennuyé étaient ceux où il lui fallait peiner quelqu’un.

Jean Pétré fondateur du PSU à Marseille

Jean Pétré assis au centre, membre fondateur du PSU (Parti socialiste unitaire) à Marseille.

Il s'agit du premier PSU, créé en septembre 1948, à partir du MSU (Mouvement socialiste unitaire) qui est né début 1948 avec des éléments venus de la Bataille socialiste, de la Revue internationale et de la CGT. Ce premier PSU compte environ 2800 membres, notamment des cheminots et des postiers (information de Jean-Claude Gillet, professeur honoraire des universités).

 

 

En un sens, l’amicale, en le perdant, fait une perte irréparable. Il était notre président à vie, presque notre fondateur, toujours notre animateur. Cela ne signifie pas que son décès doive entraîner la disparition de l’amicale. Il me semble au contraire qu’il doit provoquer un sursaut ; nous faire prendre conscience de ce qui nous lie profondément malgré nos différences et surtout malgré les années qui nous séparent de notre passé commun, malgré la vie qui, inévitablement nous disperse ; faire survivre notre amicale, faire qu’elle continue à être une fraternité et un appui pour ceux qui font appel à elle, il me semble que c’est le meilleur hommage que nous puissions rendre à notre cher Pétré, la meilleure manière de lui témoigner encore notre reconnaissance».

Une deuxième cérémonie religieuse eut lieu au 11 de la rue Albert-Chabanon à la petite chapelle de la procure des Missions de France, elle fut célébrée par M. l’abbé Cognac de la 9e Région militaire.

 

II.- Cérémonies du 26 mai 1959 à Marseille

 

La première manifestation réunissait les compagnons postiers de Jean Pétré, devant la plaque commémorative de la poste Colbert, cérémonie toute simple dans sa dignité, qui témoignait de l’amitié que lui portaient ses chefs et ses camarades.

Le soir, au Fort Saint-Nicolas, une cérémonie commune groupa les amis du colonel Pétré, ses camarades de la Résistance PTT et l’amicale régimentaire du 141e RIA.

 

Allocution du colonel Simon  

Divers orateurs prirent successivement la parole. D’abord, le colonel Simon : «Mesdames, Messieurs, mes chers amis, nous vous remercions tous d’être venus si nombreux à cette cérémonie toute intime dont le seul but est de rendre hommage à l’un des nôtres, qui vient de disparaître. Jean Pétré vient de s’éteindre dans son pays natal, dans ce Pays Basque qu’il aimait tant. Mais il a tellement œuvré à Marseille, qu’il y avait acquis le droit de cité, et il aurait été impensable que nous ne nous réunissions pas pour évoquer la mémoire de cet homme qui fut tant estimé et tant aimé.

Spontanément, un comité s’est formé dans le plus parfait esprit d’union. Je remercie du fond du cœur tous ceux qui lui ont apporté leur concours et je pense que cette réunion aidera à perpétuer son souvenir. J’adresse nos remerciements à sa soeur, Mme Clément Haritschelhar et à son mari qui ont tenu à être des nôtres. Je remercie également Monsieur le maire de Marseille qui a bien voulu nous autoriser à nous réunir en ce haut lieu du souvenir.

 

204 Colonel Simon avant 1939

Le colonel Henry Simon, avant 1939.

 

Je voudrai vous retracer très brièvement une vie que je considère comme exemplaire. Il passa son enfance choyé par les siens dans ce Pays Basque qui le marqua si profondément. La vie toute de labeur de cette contrée semi-montagnarde, lui donna très rapidement le sens de la vie. Les paysages au relief si harmonieux, envahi par une verdure sévère, lui donnèrent cet immense amour de la vie qui ne le quitta jamais. «La vie est belle», disait-il souvent et il le pensait profondément.

Vint l’adolescence après de studieuses études. Par la force des choses, il avait 18 ans en 1914, il dut se faire rapidement une situation, ce fut l’administration des PTT qu’il choisit. Cette situation ne correspondait peut-être pas à ses aspirations profondes, néanmoins, homme de devoir, il servit scrupuleusement toute sa vie et il y fit une carrière.

La guerre de 1914-1918 terminée, il revint à son administration : son désir d’évasion, de savoir, de connaître, le poussa à une fonction active et c’est comme «ambulant» qu’il effectua de lointains voyages qui élargirent ses horizons et développèrent davantage ses connaissances. L’éducation de son neveu et fils adoptif, le fixèrent par la suite à Marseille. Ce fut alors pour lui une période d’une intense activité intellectuelle : journaliste, critique, Jean Duhalde se dépensait sans compter (palmes académiques). Il n’en continuait pas moins son métier avec zèle et obtint la croix du mérite postal. Et en citoyen parfaitement conscient de ses devoirs civiques, il perfectionnait ses connaissances militaires (croix des services militaires volontaires).

La dernière guerre le trouve capitaine au 141e RIA. Il y fit une très brillante campagne (nombreuses citations). L’armistice signée, son patriotisme le pousse dans la Résistance, «Roland»,  ou «Chardon» se place très rapidement parmi les meilleurs dans les premiers rangs : chef régional de l’Armée Secrète pour R. 2 (médaille de la Résistance).

Là encore, son activité soutenue par un civisme intense, fut débordante. Elle finit par attirer l’attention de l’Occupant. Il est arrêté en juillet 1943 au siège de l’amicale des anciens du 141e RIA qu’il avait créée à son retour de la campagne de 1939-40. Puis ce fut le périple douloureux, connu de certains d’entre vous : le 425 de la rue Paradis, Fresnes, Buchenwald. Une longue et dure déportation n’affaiblit en rien son immense force de caractère, son amour de la vie, son espérance. Début 1945, il eut le magnifique courage d’insuffler dans son camp l’esprit de la Résistance. Sous son commandement, ses camarades se libèrent eux-mêmes, et c’est en hommes libres qu’ils firent leur jonction avec l’armée américaine qui progressait en Allemagne.

 

DRAPEAU BUCHENWALD 2 crop

Le drapeau que le "French colonel", Jean Pétré, mit sur sa jeep après l'arrivée de l'armée américaine à Buchenwald.

 

De retour à Marseille, son activité était devenue insatiable, il agissait dans tous les domaines et communiquait à chacun sa confiance dans l’avenir. Animateur de nombreux groupements et combien de fois président, il était toujours au premier rang pour rassembler, lutter, unir. Bien peu ignoraient notre ami, le colonel Pétré, Commandeur de la Légion d’honneur.

Ces derniers mois, il ressentait de plus en plus l’attirance de son pays natal et projetait de s’y retirer. Il en est ainsi pour beaucoup d’hommes d’action, un retour au calme leur permet un large examen de conscience. La mort ne lui a pas permis d’aller jusque là. Une brusque maladie l’a terrassé et l’a emporté lors d’un séjour à Saint-Jean-Pied-de-Port. Sa déportation, les souffrances endurées, en sont directement la cause, car sans s’en douter, il était un mort en sursis.

Je voudrais vous parler brièvement de l’homme, de ses innombrables qualités qui engendraient l’affection chez ses amis, l’estime pour les autres.

Honnêteté, loyauté, bonté, générosité, il était toujours prêt à rendre service, à se dévouer. Sa vive intelligence, son pénétrant jugement, sa grande expérience, en faisaient un homme écouté et suivi. Combien de conseils a-t-il donnés ?… Pour ses intimes, il y avait en plus le charme de son commerce, animé par un esprit particulièrement brillant et cultivé, toute la noblesse et la délicatesse de ses sentiments.

Et tout cela n’est plus, la mort a tout brisé. Partout, je n’ai vu que stupeur à l’annonce de cette brusque disparition, que ce soit ici, avec les lettres si touchantes reçues, ou avec les paroles si émues entendues.

Il nous faut cependant voir plus loin et plus haut. Il ne doit pas être pleuré. Nous ne devons pas vivre sous le coup de sa disparition. Il faut qu’il continue à vivre parmi nous pour développer ses pensées et poursuivre son action. C’était un être de grande classe, il nous lègue une vie sans tache et un acquis substantiel. Nous devons, comme lui, avoir confiance dans l’avenir et être résolument optimistes, n’être qu’espérance et amour, et avant tout rester unis. C’était un de ses désirs les plus chers. Avançons donc tous ensemble dans la voie qu’il a suivie : pour faire un monde meilleur, pour faire des hommes valables.

Ce n’est donc pas un adieu que je vous propose de lui adresser, mais, devant ce monument aux morts qui symbolise sa présence, nous devons lui donner l’assurance que nous l’avons compris et que nous suivrons le même chemin que lui ».

 

Le secrétaire-général Sauer  

Puis le secrétaire général de l’amicale du 141e, notre camarade Sauer.

Mesdames, Messieurs, mes chers camarades, au nom de l’amicale des anciens du 141e RIA et en ma qualité de secrétaire général de cette association qu’il avait créée et dont il était le président, j’ai le douloureux privilège de vous dire aujourd’hui quelle a été la carrière du colonel Jean Pétré pendant la campagne de France 1939-40.

J’ai connu Pétré en 1938, alors que, jeunes officiers de réserve, nous suivions ensemble des cours de perfectionnement. Assidu à toutes les séances et pressentant peut-être le bouleversement mondial qui se préparait et dans lequel il aurait à jouer son rôle, il s’instruisait avec conscience, et il était déjà pour nous un modèle et un exemple. Nous pouvons témoigner, nous ses camarades de combat, qu’il a parfaitement réussi et qu’il a tenu brillamment son rôle d’officier et de chef dans la nation en guerre.

De caractère souvent frondeur, doué d’un esprit critique acéré, il cachait, sous un apparent scepticisme, des sentiments profonds de discipline militaire librement acceptée dans un but final qui était la grandeur de la France dans le respect des libertés individuelles. Ce mélange de bonne humeur, d’apparente légèreté et de sentiments très profonds, faisaient que Pétré n’était pas pour nous, ses subordonnés, un chef dont on exécute les ordres par simple discipline, mais un frère aîné dont on prévient les désirs et les souhaits.

 

 

Hommages Marseille

Conte-rendu dans le quotidien Le Provençal du 27 mai 1959.

 

Au début de la campagne, au moment de la guerre de position, on voyait arriver tous les matins, même dans les avant-postes les plus exposés, le capitaine Pétré, accompagné de son ordonnance, ceinturé de grenades et portant un sac chargé de courrier et de cigarettes. Le capitaine, frais rasé, souriant, comme s’il venait de faire une promenade dans les bois de son pays natal, faisait ce qu’il appelait «sa tournée pastorale». Ce courage souriant, sans forfanterie, sans témérité, nous apportait chaque jour une dose d’optimisme et de réconfort qui était indispensable après les longues nuits de veille.

Il n’a jamais manqué un jour à cette habitude, et c’est là que nous avons compris le chef que nous avions, autour duquel nous avons resserré toutes les forces vives de l’unité. C’est ainsi qu’il a fait de cette 6e compagnie qu’il aimait tant et dont il était si fier, un moyen de combat puissant et discipliné que le chef de bataillon savait parfaitement utiliser aux besognes les plus difficiles.

Ensuite, sont venues les heures sombres de la retraite. Le régiment, engagé tous les jours, la compagnie Pétré avait, plus souvent qu’à son tour, à intervenir dans les missions de sacrifice qui lui étaient réservées, car on savait à l’Etat-major qu’on pouvait compter sur cette unité qui ne faisait qu’un bloc autour de son chef. C’est pendant cette période difficile que les remarquables qualités de Pétré devaient se manifester dans toute leur plénitude. Décidé à tous les sacrifices, il avait convenu que la 6è compagnie ne se rendrait pas, et plusieurs fois, le capitaine en tête de ses hommes, a foncé à travers le rideau ennemi formé sur ses arrières.

Son courage, son obstination à faire son devoir jusqu’au sacrifice final, sa force d’âme, ont eu leur récompense. Pétré est parmi les commandants de compagnie qui ont eu l’honneur de conserver groupés jusqu’au 24 juin 1944 tous leurs hommes, vaincu peut-être par la force écrasante d’un ennemi mieux armé, mais encore prêts à combattre et à préparer la revanche qui devait être éclatante.

Après l’armistice, de retour à Marseille, le capitaine Pétré a commencé son action pour le regroupement de l’unité. C’est à ce moment, qu’en liaison avec le général Granier qui commandait notre 141e pendant la guerre, il a créé l’amicale des anciens du 141e RIA. Sa foi dans les destinées de la patrie lui avait interdit d’abdiquer devant le vainqueur, c’est dans ce but qu’il a mis sur pied, afin de servir cette Résistance dont il allait devenir un des héros, la réorganisation clandestine de l’unité qu’il avait commandé au combat.

 

Propagande pétainiste Marseille

Marseille à l'heure de la propagande officielle pour Pétain, carrefour de la Canebière et du cour Saint-Louis. 

 

On vous dira tout à l’heure quel a été le rôle joué dans la Résistance par le colonel Pétré. En ce qui me concerne, en lui adressant au nom du général Granier, notre ancien colonel, au nom de tous les anciens du 141e RIA, un dernier adieu ému et douloureux. Enfin, je voudrai lui garantir que cette amicale qu’il avait fondée et dont il était l ‘animateur, vivra en souvenir de ce qu’il en avait fait».

 

Allocution du Docteur Crouzet  

Ce fut ensuite le Docteur Crouzet, camarade de Résistance et de déportation, dont le fils, également déporté avec Pétré, mourut au camp de concentration.

Mesdames, Messieurs, amis de la Résistance et de la Déportation, c’est avec une profonde tristesse que nous avons appris la fin prématurée que rien ne pouvait laisser prévoir, de notre ami, le colonel Jean Pétré. Lors de mes longues et douloureuses maladies, il venait chaque jour, souvent deux fois par jour, aux nouvelles. Il passait de longues heures à mon chevet, guidait mes premières sorties. Il était pour moi mieux qu’un frère et c’est avec une profonde émotion que je prends la parole aujourd’hui.

Le colonel Simon vous a parlé de l’homme et de l’ami. Le secrétaire Sauer de l’amicale du 141e vous a dit son action durant la guerre de 1939, son action à l’amicale qu’il a fondée. A mon tour, au nom des Résistants et des Déportés, je vais essayer de faire revivre certains faits de la vie du colonel Jean Pétré, grand Résistant et Déporté !

Au cours de la guerre de 1939, il se lie d’amitié au 141e, régiment d’élite de Marseille, qui, luttant de la Somme à la Loire, reste en formation régimentaire, son colonel Granier en tête, avec mon fils Robert qui devait mourir pour la France à Buchenwald. A leur retour, ils sont prêts à entrer dans la Résistance. Le fils suit le père et il me présente Pétré. Ils travaillent à la formation de l’amicale du 141e qui devient un foyer de Résistance et contribue plus tard à la Libération.

C’est la période héroïque d’organisation et de mise en place. Pétré y consacre toute son intelligence et tous ses efforts. Il s’occupe surtout de l’organisation de l’Armée Secrète. Ses fonctions aux PTT lui permettent d’établir la liaison entre Marseille et Lyon où il entre en contact avec le général Delestraint (Vidal de la Résistance), chef de l’Armée secrète. Les événements se précipitent, c’est l’époque héroïque de la Résistance. Les organisations s’étoffent. L’AS grandit, les journées du 1er mai et du 14 juillet 1942 marquent les progrès accomplis.

 

Tract Combat contre STO

Tract du mouvement Combat contre le STO.

 

Mais cette organisation manque d’unité. En 1943, les mouvements Combat, Franc-Tireur, Libération, s’unissent pour former le MUR, Mouvement Unifié de la Résistance. L’AS se réorganise et le général Delestraint nomme Pétré chef régional de l’AS. Ce dernier s’occupe de la formation des premiers maquis où vont des réfractaires au travail en Allemagne. Il doit me présenter à un représentant du Front National pour parfaire l’unité de la Résistance.

Avant ces faits, une période sombre s’abat sur la Résistance. Aux jours fastes succèdent les jours néfastes. La Gestapo a fait son travail dans l’ombre, la trahison s’est mise dans nos rangs. A Marseille comme à Lyon, comme ailleurs, les arrestations succèdent aux arrestations. La Résistance est pour ainsi dire décapitée. Quelques semaines après mon arrestation, je revois Pétré à la Gestapo, sa silhouette s’encadre dans une fenêtre, nous pouvons à peine échanger quelques mots.

Je le revois à Saint-Pierre au moment de notre départ pour Fresnes. Nous faisons ensemble ce voyage. Notre séjour à Fresnes est sans histoire. Condamnés à mort, nous devons notre salut au fait que Hitler demande d’envoyer tous les détenus en Allemagne pour le travail. C’est le départ pour Compiègne où nous pouvons nous voir, puis le tranfert en Allemagne, enfin à Buchenwald, la séparation. Nous ne devons plus nous revoir qu’après notre retour des camps.

Inutile de dire que pendant cette période, Pétré a toujours montré une rare fermeté de caractère et qu’il a toujours accompli son devoir, tout son devoir. A son retour à Marseille qui précéda le mien, il se donne la lourde et douloureuse mission d’apprendre à ma femme la mort de notre fils Robert. Il continue son action de Résistant au service de la répression des crimes de guerre et réussit notamment à empêcher par une action rapide, l’évasion probable de Dunker Delage, le bourreau de la Résistance.

Avant de finir, qu’il me soit permis d’évoquer la Résistance, notre Résistance ! Certains, examinant à la loupe pour les grossir au microscope, les défaillances de quelques-uns, on a essayé de généraliser et de ternir l’éclat de la Résistance. Nous ne contestons pas ces quelques défaillances qui sont allées même jusqu’à la trahison. Mais que sont ces quelques-uns à côté du très grand nombre ? Une goutte d’eau dans la mer. Mais que sont ces quelques-uns à côté de ceux qui ont lutté vaillamment dans la Résistance, dans les camps à la Libération, de tous ceux qui sont morts en héros et en martyrs ?

Tu étais, Pétré, de ceux qui ont lutté, de ceux qui ont souffert et parmi les meilleurs. C’est pourquoi Résistants et Déportés, garderont toujours en leur cœur, vivant, bien vivant, ton souvenir et ta mémoire!»

 

Amiral Muselier

Jean Pétré et l'amiral Muselier à Marseille le 14 juillet 1948.

 

M. Jourdan, Résistance PTT  

Enfin, M. Jourdan, au nom de Résistance PTT, prononce l’allocution suivante.

«Mesdames, Messieurs, combien lourde est ma peine alors que je rends hommage au nom de Résistance PTT, au cours de cette cérémonie d’honneur et du souvenir à la mémoire de notre si cher camarade le colonel Pétré dont le décès brutal nous a plongés dans une profonde affliction. Son ami le colonel Simon nous a rappelé en termes élevés la vie supérieure du citoyen, du soldat, du résistant, vouée toute entière à sa patrie. Aussi bien dans les postes administratifs qu’il occupa avec une compétence qui n’avait d’égale que l’efficacité de son service et la distinction dont il auréolait toujours ses fonctions, qu’aux comités de rédaction des journaux auxquels il collaborait avec talent et brio, que dans les tranchées ou les plaines du Nord où il combattit avec acharnement contre l’ennemi ou qu’à la tête de l’AS, organisant parmi les pires dangers les forces clandestines de la région de Marseille, Pétré servit, servit encore, servit toujours et partout. Et je pense que la réintégration volontaire, sans phrase du colonel Pétré chargé de gloire et de fatigue, dans un modeste service de son administration d’origine, au retour de sa libération, n’est pas le moindre trait de son civisme inaltérable.

Civisme animé par des qualités incomparables. Quel magnifique officier fut notre ami, ainsi que l’a dit d’émouvante façon Monsieur Sauer. Les anciens briscards de tous âges du 141e ont gardé et conservé dans leur cœur l’amour de leur lieutenant, de leur capitaine, de leur chef de bataillon aussi brave que souriant, lucide qu’audacieux, calme qu’acharné et dont la gentillesse n’était surpassée que par son autorité.

 

Hommage fort St Nicolas

Article du 27 mai 1959 sur l'hommage rendu au colonel Pétré.

 

Officier, il le fut au sens le plus élevé quand il refusa de sacrifier sa patrie à la discipline militaire et qu’il décida dès le premier jour de la défaite de combattre l’occupant et ses collaborateurs. Ce que fut notre action résistante, inlassable, pleine de périls mortels, d’une ampleur et d’une efficacité rarement égalées, les mess de sous-officiers, les cercles d’officiers, les amicales régimentaires, les services de renseignements gaullistes et alliés, les imprimeries clandestines, les maquis de Provence et leurs terrains de parachutage le savent comme l’a ressentie cruellement dans sa chair, son matériel et sa logistique, l’ennemi.

Les ambulants aussi dont les WP franchirent de la façon la plus insolite à Chalon et à Moulins dès le mois de juillet 1940 les frontières de la France occupée et servirent pendant toute la guerre, sur tout le territoire, au transport des plis, des fonds et des armes de la Résistance, des prisonniers évadés, des Israélites persécutés, des résistants traqués ou en mission, connaissent quel parti Pétré, ambulant de carrière, a tiré de ses possibilités.

 

Recensement des juifs

Sur les murs de Marseille en 1941, affiche du préfet des Bouches-du-Rhône sur le recensement des juifs.

 

Et les agents des Centraux téléphoniques et télégraphiques, transmetteurs, capteurs ou destructeurs de messages, les agents des lignes et des installateurs saboteurs, les facteurs et les trieurs intercepteurs ou distributeurs de plis, tous les résistants des PTT, qui travaillèrent avec Pétré portent témoignage de sa lutte qui nous remplit d’admiration.

Cher Pétré, je t’entends encore me dire :  «Je n’ai pas voulu repriser les chaussettes des seigneurs. Aussi avais-je été jeté dans une mine et un jour où j’errais presque inconscient sur les limites de la mort, je sentis à l’évidence que j’allais mourir dans cette géhenne et dans un sursaut de tout mon être, je m’écriais : je ne veux pas abandonner !». Et il dompta la mort et il vainquit, dominant après l’avoir préférée à l’avilissement, l’immolation et suscitant par son exemple d’autres résurrections.

L’exemple, en vérité, Pétré nous le prodigua sans compter par la pratique de ses hautes vertus. Son courage tant de fois mis à l’épreuve, jamais ne faiblit et il se révéla le meilleur d’entre les meilleurs quand il opposa un mutisme absolu, bien qu’affolé de souffrances, aux tortures du sadique Delage et aux affres de la noyade maintes fois ressenties dans sa sinistre baignoire, sauvant ainsi la Résistance marseillaise.

425 rue Paradis

Le siège de la Gestapo à Marseille, au 425 rue Paradis, où Jean Pétré et de nombreux Résistants furent torturés (édifice aujourd'hui disparu).

 

Quel désintéressement était le sien. Ses titres, ses grades, ses distinctions civiles et militaires qu’il avait mérités par sa seule valeur et les services rendus, jamais il n’aurait voulu les troquer contre les charges brillantes dont le Résistantialisme fut prodigue. Et pourtant, il était digne de hautes et saines fonctions nationales. La modestie de ce héros nous touchait parfois jusqu’aux larmes. Avec quel souci de discrétion intervenait-il dans nos discussions parfois passionnées ; avec quel soin s’efforçait-il de s’effacer en toutes occasions devant ses camarades qui refusaient d’ailleurs avec un malin plaisir de se prêter à son jeu.

Dur dans le combat, il était d’une bonté et d’une générosité sans bornes. Aucune détresse ni infortune ne le laissait jamais insensible et ses compatriotes du Pays Basque, ses collègues, ses compagnons d’armes, ses camarades, ses amis ne peuvent y penser sans avoir à la fois chaud au cœur et froid à l’âme.

Et quelle richesse intellectuelle accompagnait cette splendeur morale ! Dissertant avec la même facilité que lui permettait sa vaste érudition, sur les solitaires de Port-Royal ou l’art baroque espagnol, averti de tous les courants de pensée et de toutes les philosophies, féru de classiques anciens et modernes, connaissant une grande partie du vaste monde de par ses voyages professionnels dont il avait rapporté une foule de souvenirs et d’anecdotes qu’il détaillait d’une manière inimitable, aussi à son aise dans les critiques d’arts diverses que dans les éditoriaux politiques qui lui avaient fait une réputation méritée dans le journalisme, capable de traiter par la parole et la plume rigoureusement et agréablement les sujets les plus divers comme les plus ardus, à la hauteur dans l’action de toutes les situations, Pétré ne se départissait jamais de cette exquise courtoisie et de ce tact souverain qui donnaient tant de charme à ses exposés, à ses entretiens et ménageait toutes les susceptibilités.

Il attirait l’amitié invinciblement et nous tous ses amis le pleurons amèrement. Mais si les regrets, les chagrins causés par le décès de notre ami sont immenses et nous prions ici sa famille de croire à notre bien vive sollicitude et à notre sincère affection, ils ne peuvent nous empêcher de méditer les grandes leçons que sa vie nous enseigne. Leçon de patriotisme d’abord : un patriotisme sans inspiration sectaire ni partisane quelconque esprit de justice et de progrès, puisant sa source dans les racines les plus profondes de la nation et de son peuple, fait à la fois de sentiment et de raison, correspondant à l’amour du fils pour sa mère et à la virile confiance dans le génie tutélaire de la race, exaltait Pétré et le dressait sur les voies du sacrifice.

De cet honnête homme à qui rien de ce qui était humain n’était étranger, une chaude lumière nous reste. L’existence dynamique, les recherches patientes, les expériences généreuses, l’action dangereuse, même les sacrifices et les souffrances de notre ami, la compréhension, l’autorité et le rayonnement qu’il en avait acquis nous disent avec quelle réussite il a cherché à mieux connaître l’homme, ses modes de vie, ses œuvres et ses rapports avec les choses pour le mieux comprendre, le mieux aimer et le mieux servir, et quelle reconnaissance nous lui en devons.

Il avait ainsi parcouru de nombreux chemins par lesquels les hommes cherchent la vérité et servent le bien, et son éclectisme, sa fine ironie, sa bienveillance et son esprit libéral lui avaient permis sans abdiquer aucune de ses convictions profondes, de comprendre tous les élans, d’admettre les refus, de supporter les doutes en les référant à cette philosophie souriante, aussi éloignée du cynisme que du fanatisme, qui aménage les opinions et les croyances de chacun, ne s’étonne pas plus de l’absolu que de l’inconnu, de l’invisible ou de l’absurde et les donne pour compagnons familiers aux hommes de bonne volonté.

Enfin, et il convient de le dire en ce lieu sacré, Pétré, Résistant sans peur et sans reproche, aimait à répéter au cours des longues années de décadence qui suivirent la Libération et tandis qu’il militait sans relâche pour le redressement national, que les Résistants devraient constituer une nouvelle chevalerie dont l’honneur intransigeant, le dévouement et l’esprit d’abnégation aideraient puissamment le pays à retrouver la foi en ses destinées et il pensait à tous les Résistants, les plus humbles comme les plus doués qu'il avait, une fois pour toutes, réunis dans son coeur.

Souvenons-nous en et par-delà nos différences de pensées, nous qui vînmes au secours de la nation en danger, pensons à ce qui nous unit, à notre passé de combats et de souffrances, au patrimoine moral imprescriptible de la Résistance, à notre idéal de justice, et servons ensemble la France et la République dont la puissance et l’indépendance du pays, l’esprit de paix, la justice et la liberté doivent consacrer l’union indissoluble.

Honneur et gloire au colonel Pétré».

 

III.- L’inauguration de la plaque commémorative de Saint-Jean-Pied-de-Port

 

Un an après la disparition de Jean Pétré, le 7 avril 1960, une plaque a été inaugurée à sa mémoire sur la façade de sa maison natale.

 

«Ici est né le colonel J.B. Pétré (1896-1959). Grand Officier de la Légion d’Honneur. Héros et martyr de la Résistance».

 

Plaque rue d'Espagne

Rue d'Espagne à Saint Jean Pied de Port, le 7 avril 1960, inauguration de la plaque sur la maison natale de Jean Pétré. De gauche à droite: Eugène Duny, Pierre Duny-Pétré, Mgr Gouyon (êveque et futur cardinal),... à l'extrême droite le colonel Henry Simon.

 

Le colonel Simon et M. Jourdan y prirent à nouveau la parole. Un discours fut également prononcé par M. Louis Inchauspe, président du Conseil général des Basses-Pyrénées et maire de Saint-Jean-Pied-de-Port, et par M. Laneuze, Directeur régional des Postes de Bordeaux.

 

Le discours de M. Louis Inchauspe  

«Excellence, Mesdames, Messieurs, il y a quelques années à peine, le colonel Pétré revenait prendre sa place dans notre petite commune. Il l’avait reprise sans faste et en toute modestie, vivant simplement au sein de sa famille, se mêlant à la population et se complaisant dans l’étude d’un passé local qui nous est cher à tous.

Nul ne se doutait, à l’entendre, le rôle très brillant et douloureux qu’il avait rempli dans la Résistance, cette Résistance qui fut l’honneur de la France occupée. Il a fallu sa mort, une mort prématurée qui l’a frappé, encore que, relativement jeune, il semblait devoir profiter de longues années de repos, pour apprendre en même temps les services éminents qu’il avait rendus à la patrie et l’honneur qui en rejaillissait sur la petite cité qu’il aimait tant.

Jean Pétré partit tout jeune de sa commune. Il se fixa à Marseille. Nous n’avons connu que plus tard son activité intellectuelle, cette activité qui lui ouvrit les portes du journalisme et de la radio. La guerre de 1939-1945 lui permit de mettre en lumière ses qualités militaires. Il gagna au cours de la campagne, la Croix de guerre et les galons de capitaine du 141e Régiment d’Infanterie Alpine. La Résistance lui ouvrit ses portes toutes grandes, et c’est là que le colonel Pétré donna les plus belles preuves d’un profond patriotisme, d’une abnégation totale de soi-même qui l’amenèrent au camp de Buchenwald, dont il devait revenir très diminué physiquement.

Il semble vraiment que dans les circonstances exceptionnelles que notre ami a vécues, l’homme se sente épuré et délivré en quelque sorte par l’excès de souffrances, de son enveloppe charnelle et se rapproche de Dieu, dont il est à ce moment l’incarnation vivante. Moments uniques dans la vie, moments infiniment précieux, que le colonel Pétré a payés d’un décès prématuré.

 

Inauguration plaque Saint Jean

Article du quotidien Sud-Ouest du 11 avril 1960 sur l'inauguration de la plaque du colonel Pétré, rue d'Espagne à Saint-Jean-Pied-de-Port.

 

Et voici qu’après une existence troublée et tourmentée, mais magnifiquement remplie, il est venu à Saint-Jean-Pied-de-Port, sa ville natale, où une maladie brutale et inopinée devait l’abattre en quelques jours. Saint-Jean-Pied-de-Port salue aujourd’hui la mémoire d’un de ses glorieux fils. Il est né dans une commune qui, de tous temps, a donné des preuves de son indépendance et de son amour profond de la liberté, une commune qui, au cours de sa longue histoire, a été, à l’intérieur de ses vieilles murailles, le refuge de personnes pourchassées et le point de départ pour la liberté, et a fourni dans les années tragiques, son contingent de martyrs au pays: nos amis le colonel Folio, Arretche et Cristeix, morts glorieusement au milieu d’atroces souffrances dans les camps de concentration allemands.

Jean Pétré, en nous quittant, avait transporté et conservé le sens de nos traditions et de nos habitudes.

Lieu de passage de toute antiquité que la commune où il est né. Les invasions qui se sont succédées sur son sol, les nombreuses années qui, d’un sens à l’autre, ont passé les Pyrénées, semant parfois la dévastation et souvent la misère, lui ont laissé la haine de l’envahisseur et le dégoût de l’oppression. Pendant la dernière occupation et la guerre, la population saint-jeannaise tout entière a su donner l’exemple des plus belles vertus civiques. Les jeunes qui fuyaient l’Allemagne et l’oppression ont trouvé chez elle asile et secours pour assurer des passages dangereux, en zone libre et vers l’Espagne.

Notre population est fière de saluer la mémoire de l’un de ses enfants qui lui a fait honneur».

 

Allocution de M. Laneuze, Directeur général des postes de Bordeaux  

 «Mesdames, Messieurs, il y a un an, parents et amis accompagnaient à sa dernière demeure Jean-Baptiste Pétré, héros et déporté de la Résistance, dont les actions patriotiques lui avaient valu d’être promu au grade de colonel et élevé à la dignité de Grand officier de la Légion d’honneur.

Il y a un an, une famille pleurait un être cher brutalement arraché à son affection. L’administration des PTT à laquelle il avait appartenu pendant près de quarante ans, perdait un de ses fonctionnaires de valeur, récemment retraité. La Résistance toute entière s’endeuillait de la perte d’un de ses soldats qui, dans la nuit de la clandestinité, firent sa gloire et surent se hisser au sommet qu’atteignent seuls les héros.

Résistance PTT dont les membres venus des quatre coins de France avaient tenu à dire un dernier adieu au prestigieux ami, mesurait l’immense vide creusé dans ses rangs par la disparition d’un de ses meilleurs représentants. Les déportés, survivants de l’affreux cauchemar, aux rangs chaque jour plus clairsemés, avaient, comme au moment des visions d’épouvante qu’ils ont connus, la même pensée et éprouvaient stoïquement la même tristesse.

La plaque qui vient d’être dévoilée doit rappeler aux générations à venir que dans cette maison basque, naquit et mourut un grand Français, un très grand Français, dont la force virile, l’allant, le courage, la valeur, l’audace, l’amour du sol natal, l’empêchèrent d’assister indifférent à l’agonie da la France. Sans hésiter un seul instant, Pétré répondit à l’appel sacré de la patrie et il fut un des premiers parmi ceux qui, d’un peu partout en France, se levèrent d’un seul élan pour entreprendre la lutte sourde et dangereuse contre l’envahisseur nazi.

 

Recensement israélites à Marseille

Murs de Marseille, affiche du gouvernement de Pétain sur le recensement des Israélites.

 

Ce combat singulier et glorieux a été rappelé, mieux que je ne l’aurais fait moi-même, par le Président national de Résistance PTT. J’évoquerai seulement les souvenirs que chaque déporté vivant garde, gravés en lettres de sang au plus profond de son être. Jean-Baptiste Pétré, engagé volontaire de la Résistance, appartenait à l’armée de ceux qui ont «voulu» et «accepté» d’avance tous les risques de leur action contre l’ennemi ; à l’armée de ceux qui tinrent tête courageusement dans des batailles d’un nouveau genre : interrogatoires, tortures de la Gestapo, et qui durent souffrir, muets, conscients de la valeur de leur silence, ne connaissant personne, n’étant plus connus de personne ; à l’armée de ceux qui livrèrent dans une lutte inégale le combat de la faim, de la soif, des coups, des humiliations, de l’épuisement, mais dont la force morale éclatait par moments, tel le plastique, en une vibrante Marseillaise s’élevant même des chambres à gaz ou devant le poteau d’exécution ; à l’armée de ceux qui servirent leur patrie sans s’accorder un seul instant de repos, en loques rayées dans le froid des levers matinaux, comme dans celui des nuits sans sommeil, dans l’exécution lente du travail forcé, accablant, tout au long des minutes interminables de misère, de douleur et d’agonie.

Jean-Baptiste Pétré fut de ceux dont le temps estompe à peine les images impérissables des martyrs assassinés, des baignoires, du voyage sans bagage vers l’Allemagne à 110 entassés dans un wagon à bestiaux du type «40 hommes, 8 chevaux», des potences, des départs au travail en musique, des rangées par cinq d’êtres squelettiques s’étayant les uns les autres pour ne pas tomber pendant les appels interminables au camp, l’hiver, dans la nuit sans clarté ou le feu des projecteurs, dans le froid, dans le vent, sous la pluie, sous la neige.

Quand on se rappelle tout cela, on a honte devant tant de crimes perpétrés par tout un peuple, on a honte devant tant de bestialité et de sadisme, on a honte devant ce que des hommes ont osé faire à d’autres hommes.

Et puis on est fier en songeant que des Français dont tu étais Pétré, ont été humiliés, battus, torturés, déchiquetés, noyés en gardant les dents serrés, enfermant dans leur cœur contracté la crainte de faillir, de laisser s’échapper un aveu ou un nom. On est fier en pensant que devant tant de souffrances, que devant l’horreur des cadavres entassés destinés aux fours crématoires, des hommes exténués n’ont jamais cessé de croire et d’espérer en une autre vie dans un pays de liberté.

Alors qu’au rappel de ces sinistres souvenirs l’émotion m’étreint, permettez à ma pensée de s’envoler en cet instant vers ceux qui, dans ces camps de deshumanisation, furent exterminés, méthodiquement, lentement, un à un; vers ceux qui sont morts là-bas, épuisés, après avoir perdu, jour après jour, un peu plus de l’éclat de leurs yeux, un peu plus du timbre de leur voix, un peu plus de leur santé, un peu plus de la force de leurs membres ; vers ceux qui sont morts après avoir subi tout ce qu’il est inhumain d’imaginer, après avoir souffert au-delà de la souffrance; vers ceux qui, marqués dans la chair par ces terribles épreuves, s’en sont allés depuis la Libération, conscients d’avoir fait leur devoir et de l’avoir bien fait.

En ce premier anniversaire qui nous trouve réunis pour évoquer la mémoire de Jean-Baptiste Pétré, j’associe le souvenir de tous ces Croisés des temps modernes qui, après avoir lutté jusqu’à l’épuisement pour un noble idéal, se sont endormis du dernier sommeil.

Et si les survivants se sentent mal placés pour essayer de dégager la leçon des événements sans risquer de trahir la pensée des morts, je puis dire sans crainte de me tromper que de leurs tombes, ils nous demandent de ne pas mésestimer la grandeur d’une terre rachetée au prix de tant de souffrances ; ils nous demandent de ne pas désespérer de l’avenir d’un pays dont eux-mêmes, aux pires jours, ne doutèrent jamais ; ils nous demandent de ne pas les renier en renonçant à suivre leur voix; ils nous demandent de ne pas oublier.

Nous ne pouvons oublier, nous qui sommes comme leurs ombres, que nous vivons libres parce qu’ils furent esclaves, qu’ils ont, tout au long de leur dur chemin de croix, fait des rêves de fraternité, qu’ils ont été comme toi, Jean-Baptiste Pétré, un exemple. Leur idéal commun de pensée et d’action animera toujours nos communs efforts pour essaimer dans le monde toujours plus de justice sociale, toujours plus de liberté soucieuse de la dignité et du bonheur pour que le grand élan qui vit des hommes dire non à la domination et à la barbarie, sache dire oui à l’espérance humaine».

 

IV.- Dernier témoignage

 

Bien des témoins, par écrit ou de vive voix, nous ont dit le souvenir qu’ils gardaient de Jean Pétré. De cette masse, nous détachons les deux textes suivants : celui d’un camarade de travail et de sa fille, qui était encore une petite fille lorsqu’elle connut et admira le colonel Jean Pétré. Leur simplicité, mieux que des phrases pompeuses, donnera une dernière et vive impression de l’attachement que suscitait partout la gentillesse de notre cher disparu.

 

En souvenir du colonel Pétré

Témoignage de M. Raymond Roustan

«J’étais sous les ordres directs de Monsieur Jean Pétré, qui, à son retour du camp de la mort de Buchenwald, avait repris tout tranquillement avec son sourire légendaire, la direction du service des Enquêtes, à la Direction des ambulants de la ligne de la Méditerranée. Habitant la Penne-sur-Huveaune et en qualité de secrétaire du Comité local d’entraide des Bouches-du-Rhône, je m’efforçais d’organiser une fête afin d’augmenter les fonds de notre comité et procurer aussi un peu de bien-être à nos Anciens.

J’avais contacté le groupe Loisirs et culture des PTT qui m’avait assuré de son concours bénévole. Je cherchais le moyen de rehausser l’éclat de notre fête et je faisais part à Monsieur Pétré de toutes mes hésitations. Mais, mon cher ami, me dit-il, pourquoi ne m’avez-vous pas demandé la musique du 141e? Je restais stupéfait. La musique du 141e! Mais bien sûr, me répondit-il, je vais faire le nécessaire auprès du camp de La Demande et vous aurez la musique du 141e pour compléter votre concert. Ce qui fut dit, fut fait en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire.

Et le dimanche suivant, 90 musiciens du 141e prenaient place dans la petite cour de l’école des filles de La Penne et donnaient une magnifique réplique aux tours de chant du Centre Loisirs et culture. Ce beau concert était naturellement placé sous la présidence du colonel Pétré. La recette dépassa toutes nos espérances et ce qui fut peut-être le plus touchant, ce fut de voir briller les larmes dans les yeux d’un de nos sympathiques anciens qui s’écria : quelle joie pour moi d’entendre dans mon pays, la musique de mon régiment !

Et pour cette joie, qui fut peut-être la dernière de ce brave homme, que la mémoire du colonel Pétré soit évoquée ici et que votre beau régiment et son éclatante musique soient remerciés».

 

En souvenir du colonel Pétré

Témoignage de Mlle Christiane Roustan

«Pour ma part, j’ai quelques souvenirs personnels concernant votre cher capitaine. Etant un ami de mon père, le colonel Pétré, comme nous l’appelions amicalement à la maison, était souvent venu déjeuner chez nous et ces repas intimes, pris dans une ambiance toute familiale, ont laissé un souvenir inaltérable dans ma mémoire. Mais ce qui a frappé le plus mon âme d’enfant, car j’étais une enfant à cette époque-là, c’est son retour de déportation. Mon père était allé le voir chez lui le jour même de son arrivée et il l’avait invité à déjeuner. J’attendais ce jour avec une grande impatience et lorsque ce jour arriva, tandis que ma mère et ma grand-mère s’affairaient autour des fourneaux, que mon père était allé plus avant à sa rencontre, moi j’avais le cœur qui battait très fort, j’attendais celui qui avait souffert, celui qui avait été déporté, celui qui suscitait tant d’admiration dans mon entourage, je ne comprenais pas très bien ce que j’avais entendu dire, mais pour moi, c’était un héros. Et lorsque j’entendis ses pas sur le gravier, je me précipitais, je l’embrassais très fort, puis prise subitement d’une grande timidité, je me sauvais, courant, sautant, criant : il est là, il est là ! J’étais heureuse. J’avais vu le colonel Pétré, le héros, le symbole vivant de mon pays. Je garderai toujours de ce moment-là un souvenir ému.

Je m’incline devant le drapeau du 141e, son cher régiment dont je garde aussi un éclatant souvenir et je termine en disant ce que j’avais dit à notre cher ami, le jour de la fête du comité d’entraide à La Penne-sur-Huveaune: vive le 141e, vive le colonel Pétré!»

 

Inauguration rue 2

 Article du quotidien Le Provençal du 18 novembre 1963 sur l'inauguration de la rue du colonel Pétré à Marseille.

 

Inauguration rue 1

 

Article du quotidien La Marseillaise du 18 novembre 1963 sur l'inauguration de la rue du colonel Pétré à Marseille

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  • : Colonel Pétré, la Résistance à Marseille
  • : Biographie du Lieutenant-Colonel Jean-Baptiste Pétré, chef régional de l'Armée Secrète AS à Marseille. Archives de l'AS, de la déportation, de l'épuration. Campagne de France et Résistance durant la 2ème guerre mondiale.
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